L’auteur qualifie à juste titre cette lecture de différentielle. Sa principale vertu méthodologique consiste à confronter quelques versions pour mieux dégager la spécificité de chacune et pour saisir quelques tendances générales au sein de la même matière narrative. Il s’agit d’une lecture savante, menée dans le cadre d’analyses spécialisées et dans des conditions de laboratoire, pour ainsi dire. Ce mode de réception d’une œuvre n’était ni celui du public de l’époque, ni celui du lecteur d’aujourd’hui. En effet, le public médiéval n’écoutait pas ou ne lisait pas plusieurs versions à la fois de la Chanson de Roland. Devenu objet d’étude, le fameux poème révèle mieux ses secrets à l’aide de la lecture différentielle.

J.-M. Paquette compare les versions de manière sélective. Il a choisi quelques motifs lexicalisés, quelques types de laisses (strophes épiques) et quelques scènes importantes pour en suivre l’évolution, la transformation ou la disparition – autant de phénomènes significatifs. À suivre l’approche différentielle de l’auteur, on s’aperçoit que chaque nouvelle version est une lecture de la précédente et que les sept versions tracent des lignes de force et des mouvements qu’un guide aussi averti que J.-M. Paquette nous aide à saisir.

Les deux premiers chapitres délimitent le champ de l’épopée en rappelant d’abord quelques points de vue classiques (Aristote, Hegel, Lukács) qui proposent une vision globale du genre. Dans leur sillage, mais aussi à la lumière des études médiévales moderne, J.-M. Paquette formule ses propres observations.  Il insiste, par exemple, sur le lien étroit que l’épopée établit entre une communauté culturelle et une communauté linguistique. Parmi les grandes œuvres épiques de la littérature mondiale « chacune (…) se donne comme le texte fondateur d’une culture, d’une communauté culturelle se confondant le plus souvent avec une communauté linguistique » (p. 15). Le lien entre les deux types de communautés trouve une expression forte dans l’idée de territoire : « L’épopée dit : „Ce territoire est à nous. Il possède une valeur absolue. Quiconque, de l’extérieur, y pénètre en ennemi ou y commet un acte répréhensible, est passible d’un châtiment non moins absolu” » (p. 16).

Si la possession d’un territoire constitue l’un des enjeux majeurs du récit épique, sur lequel se greffent d’autres – religieux, claniques, familiaux, etc. – l’épopée est aux yeux de J.-M. Paquette avant tout une manière poétique de dramatiser un fait historique. D’ailleurs, celui-ci ne devient évènement qu’une fois dépouillé des circonstances historiques qui conviennent mal à l’affabulation. Et celle-ci prend forme à mesure que l’on s’éloigne de l’époque représentée. On le sait, l’intervalle entre le fait historique et sa transformation poétique peut être long. « Aucune épopée ne relate de faits d’armes historiques immédiatement contemporains » (p. 38), observe J.-M. Paquette. Cette distance devient un facteur de lisibilité du texte épique. Elle nous invite à faire la part de l’histoire et de l’invention poétique. Dans un certain sens, elle nous dresse devant la même situation épistémologique que celle créée par un groupe de versions qui diffèrent sensiblement l’une de l’autre tout en ayant l’air de raconter la même histoire.

À cheval entre l’histoire et la fiction, l’épopée n’en a pas moins de prétentions historicistes. Comme le remarque très justement Paul Zumthor, à la suite de R. Menendez Pidal, à propos des premières générations de chansons de geste, « jamais avant le XIIIe siècle, ou même le XIVe, une ligne de démarcation ne fut tracée entre histoire et épopée : les poèmes les plus fantaisistes s’intègrent aux chroniques (…)[2] ». J.-M. Paquette va à son tour réfléchir sur l’équilibre entre l’histoire et la fiction épique. J’y reviendrai.

Dans sa définition de l’épopée, J.-M. Paquette reprend à son compte quelques traits caractéristiques du style épique : nudité syntaxique, relative pauvreté lexicale, description extérieure des personnages, quantifications hyperboliques (p. 18). La définition qu’il propose met cependant l’accent sur la manière dont l’épopée représente sous forme de drame les grands ordres du réel, autrement dit du hors-texte. Sans être complète, cette définition totalisante mérite d’être retenue : « L’épopée est le récit d’une action héroïco-guerrière se déroulant sur le double plan de l’histoire et de la fiction ; elle est composée d’un triptyque où chacun des trois niveaux oppose des forces, le premier, de nature globale, le second, de nature sociale, le troisième, de nature existentielle ; ce dernier niveau fait apparaître le figure du couple épique duquel émerge en fin de compte l’individualité singulière du héros titulaire » (p. 25). Cette définition est calquée essentiellement sur la Chanson de Roland (d’Oxford). Il n’est pas sûr qu’elle soit opérante pour le corpus de la centaine de chansons de geste parvenues jusqu’à nous. En réalité, cette manière de définir l’épopée implique l’existence d’une œuvre séminale à statut unique. Dans une note complémentaire à sa définition, J.-M. Paquette précise : « il n’est qu’une épopée par communauté linguistique ; mais la matière épique peut se prolonger pendant de longs siècles à travers une production appelée cycles épiques. Ces cycles se trouvent contaminés par les traits spécifiques d’un autre genre littéraire, le plus souvent le roman » (p. 25). À la base de la définition de J.-M. Paquette, il y a l’idée d’une œuvre représentative de tout un genre. Paul Zumthor soutient également l’idée d’un genre épique originel dont les spécimens seraient peu nombreux : « la plupart des chansons de geste qui nous restent témoignent de la désagrégation du modèle. Celui-ci ne nous a été conservé dans sa pureté que par une dizaine de textes datables avant 1160 ou 1170. Curtius jadis réduisait paradoxalement à deux le nombre des véritables chansons de geste : le Roland et le Gormond !  C’est sur ces textes anciens que doit porter, par priorité, l’observation. »[3]

Si l’on admet cette constatation, la lecture différentielle que propose J.-M. Paquette aurait affaire non par à des versions paritaires, mais à une série de textes relevant d’un ordre hiérarchique découlant d’une œuvre première. Les approches définitoires dans ce premier chapitre ne manqueront pas de susciter chez le lecteur qui partage une vision traditionnelle de l’épopée française quelques interrogations au sujet de la méthode de J.-M. Paquette. On peut les réduire à trois : 1) J.-M. Paquette évite soigneusement le terme communément admis de chanson de geste, lorsqu’il s’agit de désigner les poèmes épiques français composés entre le XIIe et le XIVe siècle, pour employer presque toujours le terme d’épopée ; 2) la Chanson de Roland sert de référence exclusive pour illustrer tel ou tel aspect de l’épopée, les autres chansons de geste ayant été passées sous silence ; 3) les traits formels du genre, notamment ceux de la versification, ne sont pas évoqués, alors que les quelques aspects du style épiques ne sont mentionnés que très rapidement.

Le lecteur trouvera une réponse à ses interrogations dans le chapitre 2 du livre intitulé « Epopée et roman : problème de discontinuité ». C’est, à mon avis, la plus importante entre toutes les études réunies dans le livre. Il s’agit d’une réflexion philosophique sur l’épopée, menée dans une perspective post-hégélienne, enrichie d’une fine connaissance des textes de la Chanson de Roland et d’une excellente maîtrise du contexte historique. La première impression générale que laisse cette étude est qu’elle systématise peut-être trop une matière dont la grande variété de thèmes et de styles ne se laisse pas réduire à un ordre conséquent, pas plus qu’elle ne possède de cohérence interne. Force est cependant de reconnaître la logique rigoureuse à laquelle obéissent les considérations de l’auteur. Mobilisant un vaste éventail d’arguments à l’appui de cette logique, J.-M. Paquette formule d’une manière radicale sa thèse essentialiste. Au risque de schématiser ses propos, je me hasarderai à résumer quelques unes de ses propositions principales.

Bâtie sur un équilibre précaire entre les faits historiques et leur déformation ou leur omission à la faveur d’un projet poétique, l’épopée est un récit pur qui n’entre pas dans des compositions avec d’autres discours prétendant représenter le réel ou en être l’alternative. Récit pur, l’épopée est aussi selon J.-M. Paquette un récit premier, l’« origine de tout le narratif » (p. 29). Autre exclusivité de l’épopée : pour son aire culturelle et linguistique, elle est récit unique. Par conséquent, il ne saurait y avoir une série d’épopées, encore moins un ou plusieurs cycles épiques. L’œuvre épique pure, première et unique semble épuiser une fois pour toutes les possibilités du dire épique. J.-M. Paquette tranche : « Epopée primitive ou archaïque est un pléonasme ; épopée savante, secondaire ou littéraire est un non sens. Il n’y a d’épopée que première et c’est dans son unicité même que réside sa signification culturelle et esthétique. Ce qui lui succède ne peut pas porter le nom d’épopée » (p. 29). Appliquée aux textes l’argumentation signifie que seul le manuscrit d’Oxford de la Chanson de Roland – le plus ancien poème épique français – est une épopée, les autres versions du poème et les autres œuvres épiques ayant dégénéré en chansons de geste.

Le roman français, qui apparaît vers le milieu du XIIe siècle, entre en concurrence avec l’épopée et avec les chansons de geste en tant que deuxième grand genre narratif. En dépit des nombreuses contaminations qu’on peut observer, dès la seconde moitié du XIIIe siècle, entre la chanson de geste et le roman celui-ci n’est guère le prolongement du genre épique. Les nombreux parallèles qu’établit J.-M. Paquette entre l’épopée et le roman montrent l’absence de continuité entre les deux genres. De cette mise en parallèle, les contours de l’épopée et du roman se dessinent avec plus de netteté. J.-M. Paquette estime que le roman peut utiliser un matériau historique pour créer une fable dont le caractère de fiction ne fait pas le moindre doute, tandis que l’épopée joue sur l’ambiguïté entre le réel historique et la fiction poétique sans pouvoir se passer d’aucun de ces deux ingrédients.

Parmi les facteurs déterminants de l’épopée, J.-M. Paquette privilégie la langue. Celle-ci, plus que le cadre social (institutions, pratiques sociales, état de mœurs) conditionne le travail du poète épique. « Un poète a les pensées mais aussi les fictions que la langue autorise » (p. 48), écrit J.-M. Paquette. Je relativiserais cette affirmation : elle peut conduire à sous-estimer le rôle de l’auteur. On peut se demander si J.-M. Paquette n’exagère pas le rôle déterminant de la langue. Si celle-ci décidait du genre discursif, comment expliquer le fait que la Chanson de Roland (d’Oxford) et les premiers romans arthuriens sont si différents, alors qu’ils sont presque contemporains ? Le dialecte anglo-normand dont disposait l’auteur du Roland  d’Oxford ne différait pas beaucoup de la langue dans laquelle Wace écrit en 1155 son Roman de Brut, premier roman arthurien français.

L’étude attache une attention spéciale au couple épique. À travers cette figure à double face, J.-M. Paquette nous conduit au cœur de l’épopée puisqu’elle constitue la clé de son interprétation en profondeur.

Quelles que puissent être nos réticences devant les positions tranchantes ou trop systématiques de J.-M. Paquette, il faut reconnaître ce chapitre comme une contribution majeure à notre compréhension du genre épique.

Jusqu’à ce moment, l’auteur opte pour une approche de l’épopée à distance, celle-ci lui permettant d’en saisir l’essence et de ranger le Roland d’Oxford aux côtés de quelques poèmes exemplaires (Gilgamesh, Iliade, Beowulf). À partir du chapitre 3, l’approche télescopique cède la place à une lecture microscopique. J.-M. Paquette ne s’explique pas sur ce changement d’optique. L’influence des discours critiques dominants de l’époque y est sans doute pour quelque chose. J’y verrais, à titre d’hypothèse, planer l’ombre de Georg Lukács et de Lucien Goldmann sur les deux premiers chapitres, la suite des micro-lectures différentielles faisant penser à la célèbre dissection des « Chats » de Baudelaire faite par Roman Jakobson avec la collaboration de Claude Lévi-Strauss. En tout cas, loin de s’exclure, les deux démarches sont complémentaires. Et puis, à la différence des descriptions froides de Jakobson, qui se veulent objectives et scientifiques, celles de J.-M. Paquette ne refoulent pas la subjectivité du critique et ne s’abstiennent pas de jugements de valeur.

Je le disais tout à l’heure, les lectures différentielles des sept versions de la Chanson de Roland ne portent pas sur les textes intégraux mais sur quelques motifs, formules, laisses. J.-M. Paquette sonde les textes sur des points précis qu’il considère comme significatifs d’un aspect essentiel du genre épique. Ainsi, dans le chapitre 3 intitulé « La laisse inaugurale », J.-M. Paquette analyse les premières laisses de quatre versions de la Chanson de Roland pour voir comment les textes annoncent les conflits à venir. Le fil conducteur de ces observations détaillées est assuré par la notion de mouvance du texte telle qu’elle a été définie par Paul Zumthor[4]. L’hypothèse de départ de notre auteur est que chaque nouvelle version s’affirme comme une lecture de la précédente, comme une reprise, mais aussi comme un démarquage. La façon de dramatiser la fable varie donc d’une version à l’autre, l’accent n’étant pas mis sur les mêmes conflits. À propos de la version de Châteauroux[5] J.-M. Paquette constate qu’elle privilégie « le drame interne de la trahison, à l’inverse des deux autres versions qui ne parviendront à la présentation de cet épisode que longtemps après avoir assis l’antagonisme primordial des deux royautés » (p. 53). Le type de mouvance qu’observe ici J.-M. Paquette ne relève pas de la simple variation. Il s’agit plutôt d’un mouvement de décomposition du temps dont les différentes versions constituent les étapes : « le temps s’immisce dans la migration d’un récit de texte en texte, de version en version, jusqu’à la dissolution partielle ou complète des éléments d’origine » (ibid). Si l’on se souvient de la thèse de Ramón Menéndez Pidal[6] selon laquelle le texte médiéval n’est jamais définitif, puisque son mode d’être est la variante, les vues de J.-M. Paquette sur la dissolution des éléments d’origine se situent à l’opposé des celles du médiéviste espagnol. Par contre, sur ce point aussi, le critique québécois est conséquent avec son idée de l’épopée comme récit inaugural et non répétitif.

À propos du célèbre vers « Hauts sunt li pui » qui revient quatre fois dans le texte d’Oxford, J.-M. Paquette, après avoir signalé les différences entre six versions, reconnaît que la mouvance « ne va pas nécessairement dans le sens d’une désarticulation » (p. 61).

Le chapitre 5 intitulé « Masque, songe et métaphore » porte sur les rêves de Charlemagne dans la Chanson de Roland. Les rêves en littérature sont, certes, un procédé narratif, une sorte d’anticipation translucide. Ils témoignent aussi d’un symbolisme en germe que la critique a beaucoup commenté.[7] L’intérêt, aux yeux de J.-M. Paquette, des songes dans la Chanson de Roland est à chercher moins du côté de leur symbolique concrète que parce qu’ils éveillent l’esprit interprétatif du lecteur. Sur ce point J.-M. Paquette lance une perspective d’interprétation que, pour ma part, je trouve contestable. Il propose d’interpréter les songes au sein d’un système ternaire dont le masque et la métaphore seraient les deux autres termes. Masque, métaphore et songe seraient donc des hypostases, chaque terme de la chaîne étant aussi la représentation des autres. La démonstration de J.-M. Paquette ne va pas sans quelques coups de force dont il convient de saisir la logique.

Il n’y a pas de métaphore pure dans la Chanson de Roland, affirme J.-M. Paquette. [8] Face à cette absence de métaphores, l’auteur propose une vision extensive de la métaphore conçue non pas comme une image ponctuelle, mais comme une force dynamique, comme une relation en puissance, « un phénomène essentiellement syntaxique, c’est-à-dire de rapport entre deux pôles également hétérogènes comme sont masque et visage, songe et réel ». L’auteur postule donc un rapport d’homologie entre le songe, le masque et la métaphore.  Au gré de ce rapport le songe serait un masque du réel qui, de son côté, « ‘avance masqué » (p. 63). À ce titre, le songe serait également une métaphore du réel. Je ne suivrai pas de près les spéculations de J.-M. Paquette. Ma réserve est qu’il place côte à côte les épisodes des rêves[9], qui existent bel et bien dans le texte, le masque et la métaphore dont le texte ne fournit aucune occurrence. En réalité, J.-M. Paquette ne parle de métaphore et de masque que métaphoriquement. Le lecteur est un peu perdu dans des propos du genre : « Le songe exerce (…) de part son fonctionnement même, le rôle de masque d’un autre masque, d’une sorte de cache-réel d’une métaphore encore à venir » (p. 69). Ce propos laisse entendre que le Roland d’Oxford porte virtuellement une dimension métaphorique qu’il n’a pas au moment de sa rédaction. On voit mal comment pareille affirmation s’accorde avec l’idée d’une épopée pure et sans devenir historique.

On peut en revanche suivre toutes les observations de J.-M. Paquette sur le songe, ou son absence, dans plusieurs versions, avant de conclure à un « étiolement progressif de la fonction onirique » (p. 68). Cette conclusion suggère implicitement que les versions tardives de la Chanson de Roland sont plus prosaïques, moins inventives quant à l’organisation narrative.

La seconde partie du livre est consacrée à quelques scènes qui donnent lieu à des laisses similaires, notamment aux dialogues Marsile/Ganelon, Olivier/Roland, Charles/Ganelon, et à deux épisodes « lyriques » (Roland parlant à son épée Durendal, Charles se lamentant de la mort des siens). Je ne pourrais pas suivre ici les observations analytiques de J.-M. Paquette sur les laisses similaires. Je les situerais dans le sillage notamment de deux études déjà classiques.[10] Les analyses de J.-M. Paquette donnent une idée plus riche de la nature musicale des laisses similaires. Quant aux différences qu’il constate entre les versions, elles illustrent la thèse de l’excellence du manuscrit d’Oxford. J.-M. Paquette distingue avec une précaution, à mon sens inutile, entre excellence et précellence, quand il parle de la plus ancienne version de la Chanson de Roland (p. 92).

Le lecteur est facilité pour suivre les micro-lectures par une annexe à la fin du livre. Cette annexe donne un tableau synoptique des passages étudiés des différentes versions. Les textes sont cités d’après l’édition en 9 volumes de Raoul Mortier[11], à l’exception du Roland d’Oxford pour lequel J.-M. Paquette suit l’édition de Gérard Moignet (Bordas, 1969).[12]

On peut regretter l’absence d’une conclusion. À chacun donc de faire la sienne. La principale leçon que je tirerais de ce livre est qu’il revalorise implicitement la thèse de Joseph Bédier si souvent révisée et contestée sur la supériorité de la version d’Oxford. Ceci dit, le livre n’est pas un simple acte d’adhésion. J.-M. Paquette retrouve l’auteur des Légendes épiques par une voie qui lui est propre. Il faut saluer la largeur des vues, la hardiesse des thèses et la pensée inventive du médiéviste québécois. Il a su mettre admirablement l’outillage critique des années 1970-1980 au service d’une intelligence profonde des textes. Les spécialistes et les lecteurs avisés tireront un profit certain de ce livre. S’il voit le jour avec quelque retard, il possède en revanche toutes les qualités pour mériter durablement l’attention des médiévistes et des historiens de la littérature.

 

[1] Jean-Marcel Paquette, La Chanson de Roland. Métamorphoses du texte, essai d’analyse différentielle des sept versions, Orléans, Editions Paradigme, coll. « Medievalia », 2013.

[2] Paul Zumthor, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, « Points », 2000, p. 36.

[3] Ibid., p. 393.

[4] Cf., par exemple, ibid., p. 537.

[5] Datée de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle.

[6] Cf. R. M. Pidal, La Chanson de Roland et la tradition épique des Francs, Paris, Picard, 1960, pour la traduction française.

[7] On peut consulter sur cette question l’étude de Herman Braet Le songe dans la chanson de geste au XIIe siècle, Gent, Romanica Gandensia, 1975, qui contient une riche information sur l’oniromancie depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque des chansons de geste.

[8] L’auteur voit une seule métaphore à trois occurrences dans la Chanson de Roland : les guerriers qui mourront pour le roi et pour leur « douce France » iront au paradis dont ils seront les saintes fleurs. A vrai dire, ce n’est pas la seule métaphore dans le poème. Charles a le « chef fleuri » (v. 117), Blancadrin est « au poil chenu » (v. 503) ; Charles perdrait le « bras droit e son corps » (c’-à-d. Roland, v. 579), etc. (J’indique les vers d’après l’édition de Ian Short, « Lettres gothiques ».) Je parlerai plutôt de pauvreté métaphorique.

[9] Dans le Roland d’Oxford, ils sont quatre, dans les autres versions, ils sont moins nombreux.

[10] Cf. Erich Auerbach, « Roland à la tête de l’arrière-garde“, in Mimésis, Paris, Gallimard, 1968, pour la traduction française, en particulier pages 113-115 ; Eugène Vinaver, « La mort de Roland », in A la recherche d’une poétique médiévale, Paris, Nizet, 1970, pages 57-62.

[11] Raoul Mortier, Les textes de la Chanson de Roland, Paris, Editions de la geste francor, 1940-1949.

[12] Signalons l’édition plus récente et à bien des égards préférable de Joseph J. Duggan : La Chanson de Roland. The Song of Roland, Turnhout, Brepols, 2005.  Cette édition en trois volumes réunit les éditions récentes de six manuscrits de la Chanson de Roland, dues à des spécialistes reconnus. Elle est munie d’une Introduction générale de J. J. Duggan.