La préface est de Pascal Ory, dont on connaît l’intérêt pour l’histoire culturelle. On en retiendra :

« Les nombreux exemples cités par Karin Becker confirment l’utilité des textes de fiction comme documents pour l’histoire : guère plus orientés que les textes normatifs (manuels de savoir-vivre, règlements divers), ils ont en revanche beaucoup plus de finesse dans le détail des pratiques et des discours. Dominé par l’impératif du réel, poussé dans l’école dite naturaliste jusqu’à la prétention scientifique, toute cette littérature ne peut se payer le luxe de trop distordre les comportements, faute de quoi elle perdrait tout son sens » (page 7).

L’auteure Karin Becker enseigne la littérature française à l'université de Münster (en Allemagnr) et elle s’intéresse ici aux œuvres de Balzac, Baudelaire, Joseph Berchoux, Brillat-Savarin, Flaubert, Alexandre Grimod de la Reynière, Victor Hugo, Maupassant et Zola. Toutefois il y a u fort déséquilibre entre le nombre d’ouvrages composant le corpus selon l’écrivain, en effet alors que Guy de Maupassant, Émile Zola, Gustave Flaubert et Honoré de Balzac sont présents avec au minimum quatre titres (et jusqu’à onze pour Balzac et huit pour Zola), les livres des autres auteurs sont réduits à la portion congrue.   

Je dois reconnaître que m’était inconnu Joseph de Berchoux, né  en 1760 dans la partie du Beaujolais qui sera rattachée au département de la Loire, il est décédé en Saône-et-Loire l’année 1839. C’est lui qui a inventé le mot "gastronomie" (étymologiquement "les règles de l’estomac"), un terme qui apparaît pour la première fois en 1801 dans le recueil de poèmes Gastronomie ou l'homme des champs à table. On retiendra, tiré du "Chant troisième, le second service",  ces vers :

« Racontez que dans Rome un barbot fut payé 

Plus de deux cents écus : argent bien employé, 

Qui fit dire à Caton, dans son triste délire, 

Qu’il ne répondait plus du salut de l’Empire.

Ajoutez que dans Naples un généreux tyran

Paya cent écus d’or la sauce d’un faisan. »

Le "généreux tyran" en question est Abû `Abd Allâh Muhammad V al-Hasan un des sultans hafsides. En charge d’un royaume couvrant un peu plus que la Tunisie actuelle, il a usurpé le pouvoir en 1526 mais se le fit prendre par Barberousse qui y gouverna au nom de l’Empire ottoman (comme il le faisait déjà autour d’Alger). Abû `Abd Allâh Muhammad V al-Hasan partit en exil et obtint l’appui de Charles Quint, d’où sa présence à Naples en 1535 et d'ailleurs une occupation espagnole de plusieurs ports tunisiens par les Espagnols au milieu du XVIe siècle.

Alexandre Grimod de la Reynière est né aussi au siècle précédent (1760) et mort en 1837, on lui doit la phrase qui nous sert de titre et l’Almanach des Gourmands qui paraît en huit volumes entre 1803 et 1810.

Carte du Second Empire (antérieure à 1860), associant productions gastronomiques et chemins de fer. Illustration non présente dans l'ouvrage

L’ouvrage Gastronomie et littérature en France au XIXe siècle est divisé en cinq chapitres respectivement intitulés : L’art culinaire vu par les romanciers, Aspects sociaux et moraux de l’alimentation, Les manières de table : l’homme sous contrainte, Le mangeur et son corps, La gourmandise et l’érotisme : il en est de l’amour comme de la cuisine.  

De Balzac, on connaît l’addiction au café et il y a vingt ans le Musée Balzac à Saché (en Touraine) avait proposé une exposition temporaire sur ce sujet. Par ailleurs l’on sait que la petite cafetière en porcelaine de Limoges, dont se servait jusqu'à cinquante tasses par jour, est présentée la Maison-musée de Balzac dans le XVIe arrondissement parisien. Pour cet auteur la sauce serait "la gloire de la cuisine française" et "le triomphe du goût". C’est d’ailleurs l’ouvrage Le cousin Pons que l’on voit le personnage s’enthousiasmant le plus pour les sauces. Dans La Comédie humaine, on relève la description de quarante restaurants parisiens, on en retrouve certains de ceux-ci dans les livres de Zola. Balzac avance que si on ne mange pas aussi luxueusement en province qu’à Paris, on y mange mieux. Il ne manque pas de valoriser les repas tourangeaux et entre autre du fromage de chèvre qui pourrait être du Sainte-Maure.

Aujourd’hui à la lecture de ce dernier auteur, on retrouve le sens de certains mots aujourd’hui disparus de notre langage comme "frippe" qui désigne ce que l’on peut mettre sur le pain (confiture, beurre, pâté, rillettes…).  

Il est bon de retrouver également le sens des mots que nos amis belges ont maintenu, à savoir que l’on déjeune à le matin, que l’on dîne à midi et soupe le soir, c’est la bourgeoisie parisienne qui progressivement fait évoluer le sens des mots du fait qu’elle prend une collation en rentrant d’un spectacle vers onze heures ou minuit. En maintenant l’appellation de "souper à ce repas", elle revisite le vocabulaire, introduisant "le mot petit déjeuner" au contenu très léger (car, contrairement aux paysans et ouvriers, elle n’a pas de travail physiquement épuisant) et modifiant l’heure de prise du déjeuner (midi) et du dîner (de 18 à 19h, avant de partir au spectacle). Il est vrai qu’elle peut se permettre de manger quatre fois par jour car elle a de la domesticité pour préparer les repas.  Chez Victor Hugo en particulier, on voit le décalage entre la province qui a gardé l’ancien rythme et Paris qui s’est accoutumé à cette nouvelle règle de vie. D'après ce romancier, elle s’imposerait progressivement dans la capitale dès les débuts de la Restauration (sic).

Illustration non présente dans l'ouvrage

Les romanciers relaient les gastronomes dans l’idée d’évaluation de la qualité des repas servis dans un restaurant, qu'il y a des lieux chez soi pour manger et d'autres inadaptés (même si cela se fait dans certains milirux) et qu’on remarque des bonnes (donc des mauvaises) manières de se tenir à table à la fois en mangeant et en conversant. Le continent noir, comme disait Freud, est une fois de plus la femme car on dispose de peu d’informations sur son mode de vie alimentaire si ce n’est qu’elle essaie de manger le moins possible. Ceci amène donc à rendre plus précoce qu’on ne le pense la perte du goût pour les femmes bien en chair.

D'autre part gourmandise et érotisme sont associés, la femme apparaissant comme une gourmandise. Une réflexion personnelle nous est venue que le nouveau sens de "gourmandine" pourrait en découler, en effet alors que ce mot désigne depuis au moins le XIVe siècle une femme qui aime faire bonne chère, il va prendre, pour le XIXe siècle, le sens de "fille aux mœurs légères" et ne plus renvoyer à sa première signification. Ces romanciers participent à la construction de l’idéal du gourmand, mais ils ont assez de regard critique sur leur société, pour ne pas pointer les points noirs de ce mythe.     

Il y a beaucoup d’informations à glaner dans cet ouvrage comme on peut maintenant s’en douter. De la conclusion, nous retirerons ceci :

« l’emploi que les romanciers font du discours gastronomique semble osciller entre l’identification et la mise en question : la valorisation des facteurs matériels côtoie, dans les romans, la dénonciation de leurs effets dévastateurs sur l’âme et le corps de l’individu » (page 178).

Le jury du Marron Littéraire, prix de l’Art de Vivre, dont le thème est "la Gastronomie et les produits du terroir" pourrait, à la mi-octobre 2017, récompenser cet ouvrage qui fait partie de la petite dizaine des sélectionnés. 

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

Note globale :