Bernard GUIDOT, Chanson de geste et réécritures, Orléans, Paradigme, 2008 ; 1 vol.
in-8°, 438 p. (Medievalia, 68). ISBN : 978-2-86878-275-5. M68 Prix : € 32,00.
Après F. Suard en 1994, c’est à B. Guidot, autre spécialiste de la matière épique, de proposer un recueil de ses travaux dans le cadre de la collection Medievalia. Cet élégant volume ne rassemble pas moins de vingt-cinq de ses articles, dont les dates de composition s’échelonnent sur près de deux décennies (de 1984 à 2001), l’ensemble formant une somme précieuse et considérable qui échappe au disparate tant s’y affirment les constantes de la pensée, du style et des centres d’intérêt de l’A. C’est au concept d’« irradiation cyclique » d’assurer l’unité d’un ouvrage qui n’a de cesse de souligner le dynamisme du genre épique, présenté à tort comme sclérosé. Pour l’A., la chanson de geste est le lieu d’une tension entre tradition et renouveau. Il s’applique ainsi à montrer comment une légende épique « se perpétu[ant] à travers les âges » est adaptée par « des esprits nouveaux […] au sein de civilisations différentes » (p. 133).
D’où la récurrence, dans ses études d’ensemble (sur des cycles) comme de détail (sur des chansons), des notions de « fixité », de « stabilité » ou de « permanence » auxquelles répondent celles de « dérive », de « mutation », de « renouveau oblique », de « parodie » ou encore d’« originalité ». La lecture de ce recueil permet d’apprécier l’évolution d’une réflexion ambitieuse embrassant des champs littéraires de plus en plus vastes : si les articles les plus anciens sont dédiés à l’épopée médiévale – avec une nette prédilection pour le Cycle de Guillaume d’Orange auquel près de la moitié des travaux est consacrée (dont quatre à la seule Chanson des Aliscans) –, les articles les plus récents (1995-2001) témoignent d’un intérêt croissant pour les formes tardives et trop souvent méprisées de la chanson de geste. Les contributions sont judicieusement regroupées en six chapitres thématiques dont un bref avant-propos précise les orientations. Monde chrétien et monde sarrasin traite de l’idéologie parfois déroutante ou ambiguë qui anime un cycle tel que celui des Lorrains, « puzzle manichéen aux contrastes saisissants » (p. 47), ou des chansons telles que Raoul de Cambrai, « vouée au culte de la violence et de l’horreur » (p. 9), Hervis de Mes, dont le héros est déchiré entre la noblesse et la bourgeoisie, ou encore Le Siège de Barbastre, où s’exprime « une nouvelle vision du monde, fondée sur des rapprochements ponctuels entre Sarrasins et [chrétiens] » (p. 68). Prenant pour objets d’étude les gestes des Lorrains et des Narbonnais, le chapitre Familles et Cycles s’intéresse au processus de mise en cycle (indissociable de la question lignagère) et en particulier à la question du remaniement et des « effets de distance » qui en découlent (p. 90), Aliscans retenant l’attention de l’A. par ses « glissements de rôles » et ses substitutions « révélatrices de modifications dans les équilibres » traditionnels de la Geste (p. 119). Regard et points de vue s’interroge sur la partialité du trouvère dans Garin le Loherain ou sur l’implication de l’auteur d’Aliscans. Le chapitre Imaginaire et illusion réunit trois études sur Renaut de Montauban

abordant les questions de l’idéalisation, de la métamorphose, de l’incertitude et du rôle de la Providence. Fantaisie et humour met en relief la truculence, le pittoresque et la dérision caractéristiques du Cycle de Guillaume qu’incarne plus que nul autre le personnage de Rainouart au tinel, « bouffon venu de l’ombre » devenu « un des membres fondateurs de la geste de Narbonne » (p. 147). Enfin, dans l’ultime chapitre (Réécritures), l’A. se penche sur les mises en prose du XVe siècle (au premier chef sur le Guillaume d’Orange, qui contient une réécriture du Siège de Barbastre) et sur les
adaptations populaires de Huon de Bordeaux et de Renaut de Montauban (les Quatre fils Aymon). Cette dernière chanson fait l’objet de deux articles dans lesquels l’A. met en évidence le manichéisme simpliste et le goût du pathétique qui se manifestent dans la réécriture anonyme de la Bibliothèque Bleue, tout en reconnaissant à cette littérature modeste « le mérite d’avoir conservé au moins quelques bribes d’un Moyen Âge que la science philologique, dans le dernier quart du XIXe siècle, commença à exhumer dans sa pureté originelle » (p. 432).

Delphine DALENS-MAREKOVIC