Mouvances et Jointures. Du manuscrit au texte médiéval. Textes réunis par Milena MIKHAÏLOVA, Orléans, Paradigme, 2005 ; 1 vol. in-8°, 334 p.
Ce volume réunit les actes du colloque international organisé par le CeReS –Université de Limoges, du 21 au 23 novembre 2002. S’inscrivant dans le mouvement des approches critiques fondées sur les concepts de mouvance et de variance du texte médiéval, l’ensemble des contributions s’attachent à la problématique posée par les rapports du texte à son environnement manuscrit, généralement occultés par la pratique habituelle de l’édition critique, alors qu’ils conditionnent largement son identité. Elles tentent ainsi de définir les aspects et les conditions de la mobilité du texte, qui peut être inhérente aux différentes pratiques de la mise en recueil, mais semblerait tout aussi bien relever d’un projet littéraire prémédité. Après une introduction de M. Mikhaïlova et une préface de J. Cerquiglini-Toulet consacrées à quelques réflexions sur la notion de texte dans l’espace du manuscrit, les différentes
contributions sont rassemblées en trois sections. La première, intitulée Insertions et Jointures, est consacrée à l’étude des principaux types de jointures, qui constituent autant des raccords que des marques de séparation, permettant aussi bien l’homogénéisation du texte que sa fragmentation. K. Busby interroge de ce point de vue les tituli qui, dans le fragment d’Yvain contenu dans le ms. Montpellier, BIU, Sect. Méd. H 252., pallient l’absence d’images. F. Laurent montre, dans le Guillaume de Dole de Jean Renart, les contraintes énonciatives qui régissent les jointures entre les parties narratives et les insertions lyriques. M. Demaules constate que, dans le Lancelot-Graal, les songes contribuent à la mise en cohérence des différents textes qui constituent ce vaste cycle. Pour D. Maddox, les insertions narratives de la Folie Tristan d’Oxford confèrent à ce texte une fonction de récit-cadre à de micro-récits. Une seconde section est intitulée Malléabilité du texte, textualité ductile. Est exemplaire à ce titre la Bible d’Herman de Valenciennes, dont M. Boulton analyse la tradition manuscrite particulièrement complexe. Exemplaire aussi, pour N. Regalado, le travail de découpage et d’interpolations que Jean Molinet, dans son Romant de la Rose moralisé, a fait subir au vieux Roman de la Rose. J.J. Vincensini revient sur le Roman de Mélusine pour montrer que les différentes variantes de ce texte « chamarré » et polygénérique, loin de tendre vers l’incohérence et l’hétérogénéité, déplient au contraire une solide organisation symbolique. Quant au risque d’incohérence auquel sont particulièrement exposées les oeuvres cycliques, « fatalement mouvantes », R. Trachsler l’aborde dans le cadre d’une réflexion méthodologique, en rapprochant l’exemple du Lancelot-Graal, plus particulièrement la Suite-Vulgate du Merlin, de la série des Harry Potter. Une troisième section est consacrée à L'œuvre et l’espace du recueil. Quatre communications reviennent sur la composition du célèbre manuscrit Paris, BnF, fr. 837, véritablerecueil-bibliothèque, pour remettre en cause l’image traditionnelle d’une compilation hétéroclite : Y. Foehr-Janssens en proposant de lire le Dit du Barisel comme un prologue programmatique, lieu de dévoilement des éléments d’une conjointure paradoxale ; O. Collet en suggérant que ce recueil-anthologie constituerait une somme des « expériences » littéraires et formes « transgressives » tendant à renouveler la création poétique en langue française ; W. Azzam en constatant que les oeuvres de Rutebeuf constituent comme un recueil à l’intérieur du recueil, miroir des tensions thématiques du recueil enchâssant ; S. Lefèvre en montrant combien l’hybridation du narratif et du lyrique inscrit les unica – en particulier saluts et complaintes d’amour – de façon cohérente dans cet immense répertoire. Par ailleurs, G. Parussa renouvelle par une approche globalisante la lecture de l’ensemble des textes essentiellement dramatiques du ms. Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1131. En font de même L. Walters pour les textes romanesques « chrétiens » rassemblés dans le ms. Chantilly, Musée Condé 472, et C. Lucken pour le manuscrit autographe des poésies de Charles d’Orléans, Paris, BnF, fr. 25458. Si l’enjeu était bien de nous inviter à abandonner nos critères et nos habitudes de lecture, il est atteint. Mais la problématique ici explorée par des voies multiples reste encore largement ouverte.
Jean-Pierre PERROT