La Préface nous renseigne, par exemple, « sur L'écriture de la lettre », avec ses « codes et protocoles » de l'époque, la disposition de l'écriture, l'importance du blanc en-tête suivant celle du correspondant, les formules de politesse, les emprunts aux divers ouvrages oui enseignaient dans des Traités de civilité l'art et la manière d'écrire suivant la qualité du correspondant. On peut sourire de ces formules alambiquées, mais avouons que, sans les regretter, on les compare avec la désinvolture de l'en-tête de nombreuses lettres que l'on reçoit aujourd'hui, en prenant en pleine face un dérisoire « bonjour ! ", quand ce n'est pas un « Salut !». On sait bien que la formule finale d'alors n'est pas à prendre au premier degré (« votre très humble serviteur »), mais on peut aussi regretter celle, latine, de l'abbé Olivet (chancelier de l’Académie) : Vale et me ama, qu'on peut : traduire par « Porte-toi bien et aime-moi ». On verra que Voltaire savait imaginer des formules plus originales et plus chaleureuses : « En vérité, vous devriez répondre à l'amitié que j'ai toujours eue pour vous ».

   Tout ce soin dans « les ornements des lettres » s'expliquait aussi par la destination de la lettre, comme le montre la Préface « Sur l'usage de la lettre : espace privé / espace public ». Comme celles de Mme de Sévigné, ces lettres circulaient et elles étaient même, parfois, lues à haute voix dans un salon.

    Ainsi que le remarque fort bien la Préface, nous sommes ici à un certain niveau intellectuel qui n'est certes pas banal : « De la complicité culturelle au compliment, ces ornements doivent contribuer au plaisir que le scripteur veut dispenser à son correspondant ».

    Notre attention s'arrête particulièrement sur une remarque des érudits commentateurs : « De nombreuses citations sont poétiques, ce qui reflète aussi le prestige dont jouit alors la poésie dans la hiérarchie du temps. La poésie tient une place importante dans cette correspondance, comme sujet de discussion, certes, mais aussi comme matière même de la lettre. La Condamine, qui fait l'hommage d'un de ses ouvrages, commente cet envoi dans un petit poème de sa composition qui dénigre son gros in-folio et célèbre, avant même de l'avoir lu, Le Siècle de Louis XIV ».

    La réponse de Voltaire contient, évidemment, un autre petit poème.  La poésie ainsi comprise appartient aux talents de société, indispensables alors, sans doute un peu ridicules (Molière s'en était déjà moqué), mais qui avaient d'autres vertus que notre sorcellerie internettée d'aujourd'hui qui ignore la lettre au profit du mail, quelques mots d'un « message », parfois, avec des abréviations plus ou moins rigolotes : un squelette sans chair.

    Évidemment, les analyses méticuleusement érudites de ce recueil pourraient s'appliquer à toute la correspondance voltairienne, et pas  seulement à ces quelques lettres apparemment banales, mais dont les  commentateurs nous révèlent les richesses cachées.

    Chacun y fera ses propres découvertes.

     Le voici une, qui permet un rapprochement inattendu. C'est le début  d'une lettre du marquis de Pezay à Voltaire, en 1759 (grâce aux notes on  apprend beaucoup de choses sur cet inconnu - au moins de nous), un  bon jeune homme qui commence à écrire des vers :

Monsieur,

       C'est un mousquetaire, conséquemment un étourdi qui a l'honneur de vous écrire, mais pardonnez-lui l'un et loutre. Il n'a élue dix-sept ans. Il eut la même imprudence au printemps de l'année 1758 ». Il vous écrivit,  brûla la lettre, et fit bien ; car probablement si elle vous avait été remise il n'aurait pas aujourd'hui la satisfaction de vous entretenir de nouveau ; ce serait un fort grand plaisir de moins pour lui, nous n'en avons pas trop dans cette triste vie, et aussi puisque ceux-là sont faits pour être menais. (...)

    On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans, nous le savons grâce a un jeune homme qui écrivait lui aussi à un auteur de son temps, en se vieillissant d'un an : « J'ai dix-huit ans. - J'aimerai toujours les vers de Banville ». 11 n'avait pas brûlé sa lettre de l'année précédente ; il Pavait envoyée en affirmant « j'aime tous les bons Parnassiens ». Mais Rimbaud", anti-militariste et fils de militaire, n'était pas mousquetaire. Tout de même le commentaire suscité part la lettre du marquis de Pezay s'appliquerait assez bien au bon élève de Charleville : « La lettre actuelle nous présente le jeune poète au seuil de sa carrière d'auteur, au moment  où il se décide à s'adresser à l'homme de lettres le plus célèbre de  l'époque. Il se fait une gloire d'être maladroit en lui écrivant, mais en  même temps, il place habilement des allusions aux écrits les plus récents  de Voltaire ». Certes, le rapprochement est un peu tiré par la perruque,  mais il montre que mousquetaire ou révolté, les jeunes poètes ne changent pas et n'hésitent pas à flatter le Maître du moment. Car on est très  sérieux, quand on a dix-sept ans.

Madeleine Bouvet, Le coin de Table