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Montaigne et le travail de l'amitié : du lit de mort d'Etienne de La Boétie aux Essais de 1595 - Gérard DEFAUX

Montaigne et le travail de l'amitié : du lit de mort d'Etienne de La Boétie aux Essais de 1595 - Gérard DEFAUX
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Description

Le 18 août 1563, après une longue agonie, Etienne de La Boétie reprend miraculeusement des forces. Montaigne l'’entend parler". Sa mémoire n'’a retenu que cette question étrange : "Mon frère! mon frère! me refusez-vous doncques une place?" Ce livre raconte le "travail" auquel s'est livré Montaigne pour exaucer cette prière. Ce moment-là fut pour lui le moment fondateur qui a donné un sens à sa vie...

Gérard DEFAUX, Montaigne et le travail de l'amitié. Du lit de mort d'Etienne de La Boétie aux Essais de 1595. Orléans, Paradigme, Coll. « L'atelier de la Renaissance », n° 11, 372 pp., 2001.

Ce nouvel ouvrage de l'infatigable G. Defaux est impressionnant. Ces quelque quatre cents pages d'une typographie serrée, gorgées de notes elles-mêmes développées selon toutes les exigences de l'érudition (et au- delà), offrent bien plus que n'annonçait le titre. Mais elles sont aussi extrêmement insolites. Car, dans la mesure où le livre touche au plus intime de chacun — à l'amour et à la mort —, le travail critique rencontre et mobilise aussi, nécessairement, le plus intime de l'auteur ; et, chose rare, cet auteur, dans le cas d'aujourd'hui, se laisse largement aller à parler de soi. Gérard Defaux est ici intensément présent - au même titre, si l'on ose dire, que Montaigne et La Boétie : subjectivité souvent émouvante, déroutante parfois, voire gênante. D'où la difficulté de fournir ici un compte rendu de forme classique, d'un style purement universitaire.

La problématique est clairement annoncée ; G. D. s'interroge sur le « travail » intérieur que Montaigne a opéré pendant trente ans sur la mémoire de La Boétie, pour donner à l'ami la « place » que celui-ci lui avait demandée lors de son agonie — place sur laquelle Montaigne semble avoir longtemps hésité, au point qu'on a pu s'étonner de son long silence. On attendait ici une étude un peu distanciée, fondée sur l'analyse « synchronique » des textes. On l'y trouve, et c'est déjà beaucoup, à s'en tenir aux méthodes conventionnelles. Mais, en fait, c'est surtout une histoire qu'on découvre dans cet ouvrage : celle du souvenir de La Boétie dans l'âme de Montaigne de 1563 à 1592. Histoire d'une présence, de sa continuité et de ses apparentes intermittences, non sans d'étranges silences. Chaque action de Michel, chaque phrase des Essais est analysée de ce point de vue, avec une incroyable acribie, à la recherche de cette « place » qui prend chaque fois aux yeux de l'herméneute — et pour l'embarras du lecteur — une forme différente.

Si tel est bien le dessein de Gérard Defaux (ce que nous croyons), il est vrai que la tâche était à n'en plus finir. Car il fallait savoir (ou deviner...) chaque détail de la biographie de Montaigne ; il fallait surtout interroger la totalité des Essais et des lettres — et G. D. s'attache à en paraphraser (ce terme, pour nous, n'est pas du tout péjoratif) un très grand nombre de pages, avec la volonté de démontrer chaque fois à son lecteur que la clé des propos qui semblaient clos est dans la scène primitive des derniers jours d'Etienne à Germignan. Mais, parfois, le lecteur résiste. Un exemple ? Est-ce sûrement en pensant à Etienne (et en s'accusant de son silence) que Montaigne évoque le fameux tableau où Agamemnon voile son regard à l'affreux spectacle de sa fille conduite au supplice ? Or G. D. se passionne si fort pour ses postulats qu'il a tendance à en dramatiser l'exposé : suite à l'exemple ci-dessus, faut-il nécessairement juger que Montaigne a « trahi » Hérodote en concluant que « Curae levés loquuntur, ingentes stupent »? - gauchissant les termes comme pour excuser son propre silence sur l'ami disparu.

Éloquence un peu arbitraire... Et le zèle démonstratif de G. D. est si fervent que des adverbes et autres termes intensifs viennent en foule renforcer les assertions (« ressemblent absolument »...).

Ici ou là, et selon sa propre lecture du texte montaignien, on pourra même se rebeller. Ainsi, je ne suis pas sûr du tout que La Boétie ait eu, dans ses dernières heures, ce souci de la renommée que G. D. lui reproche discrètement comme une faiblesse : est-ce vraiment à cette sorte de « place » qu'il pensait ? Quant aux positions de principe énoncées au début du livre, où Defaux expose sa méthode personnelle de mise en œuvre des témoignages, plus d'un lecteur en jugera le ton fort exagérément subjectif.

Mais j'ai déjà dit qu'il fallait accepter ici un ouvrage insolite : pourquoi le répéter preuves à l'appui ? Le lecteur le vérifiera sans peine dès les premières pages. Cet inlassable « travail » du texte montaignien par et dans le texte du critique, cette surabondance du commentaire et de l'auto-commentaire imposent d'emblée leur singularité — et non sans profit. Car, nageant dans ce Pactole où l'émotion vibrante mêle ses eaux à celles d'une érudition ostentatoire, le lecteur abordera au rivage les doigts chargés de pépites : précieux chapitre sur Lucrèce, et (plus rare) sur Quintilien (celui-ci en tant qu'homme privé) ; lecture sans cesse affinée de plusieurs chapitres des Essais (pas toujours les plus célèbres, et G. D. insiste avec raison sur ce mérite de son livre) ; solution apparemment décisive de quelques problèmes textuels, même si l'on n'adhère pas toujours jusqu'au bout aux conclusions de cette nouvelle herméneutique. Ainsi, p. 86 et note 30, quelques lignes sur le «dire confusément, dire discordamment » me paraissent abusivement interprétées 2.

Surtout, et même si le livre est évidemment trop long, trop méticuleux, trop directif dans ses interprétations, son lecteur aura  eu la joie de relire Montaigne en compagnie d'un esprit qui le connaît et l'aime chaleureusement. Ne serait-ce rien ?

Gabriel-André PÉROUSE

2. Lorsqu'il évoque l'obligation « particulière » de parler de la sorte, Montaigne ne se réfère point, croyons-nous, à quelque permanent et mystérieux secret qui affecterait l'ensemble des Essais, mais à telle raison, précise et circonstancielle, qui le force à la discrétion, par égard (peut-être) à tel interlocuteur ou lecteur.

 



Détails
EtatNeuf
RéférenceA11
EAN9782868782199
Poids0.47 kg