Denis Hue propose ici l’éd. des fragments de la chanson d’Aspremont contenus dans les pages de garde de trois mss de la Bibliothèque d’Alençon (nos 637, 646 et 647), constituant un total de 1269 v. Ces mss proviennent de l’abbaye Saint-Martin de Sées, et les fragments qu’ils contiennent relèvent d’un même ms., désigné par l’É. par le sigle S, copié au xive siècle dans l’Ouest de la France, vraisemblablement à Sées même. Ces fragments appartiennent à la famille des mss de tradition française appelée « bleue » par A. de Mandach dans son étude et éd. partielle de la chanson d’Aspremont parue en 1975 chez Droz. L’É. peut à cet égard les comparer  avec le ms. de Wollaton Hall (W) publié en 1919–1920 dans les Classiques  français du Moyen Âge par L. Brandin et avec le ms. Paris, BnF, fr. 2495  (P1). Les fragments, qui sont rapportés aux numéros de laisse de l’éd.  Brandin, se situent d’abord au début de la chanson, avec l’épisode de  l’arrivée de Balant à la cour de Charlemagne puis de son retour au camp  d’Agolant, où il est accusé de trahison par certains de ses pairs (v. 1–148) on passe ensuite à quelques épisodes de la convocation des vassaux ou des obligés de Charlemagne (v. 149–394), à l’entrevue tumultueuse de Turpin, envoyé de l’empereur, avec Girard (v. 395–517) et aux prémisses de la fuite de Roland et de ses compagnons qui s’échappent de Laon  (v. 519–558). On saute ensuite jusqu’à la fin du premier engagement de  l’avant-garde française contre Aumont, avec la retraite de celui-ci dans  sa tour et l’installation du campement impérial au pied d’Aspremont  (v. 559–999). Un long passage est consacré à l’intervention de Girard, qui triomphe d’Aumont et réussit à s’emparer de la tour qu’il a eu l’imprudence de quitter (v. 700–892). Les fragments passent ensuite, tant du côté sarrasin que du côté chrétien, aux préparatifs du premier engagement général et prennent fin avec le combat des neveux de Girard avec les éclaireurs de l’armée impériale (v. 893–1269).

Il était bon d’ajouter à la longue liste des mss ou fragments qui témoignent du succès de la chanson d’Aspremont ce document, édité avec soin par D.H., qui comble avec W certains passages illisibles, et dont l’équipe belgo-italienne, dirigée par G. Palumbo, pourra faire son profit. Le ms. S, patiemment reconstitué par l’É. et situé dans un stemma qui le fait remonter à travers un intermédiaire β à un original α auquel P1 se rattacherait directement, n’apporte pas de révélation majeure à propos du texte d’Aspremont. On peut même dire que sa lecture est parfois décevante, car le ou les copistes ne semblent pas toujours comprendre leur modèle. À cet égard, la comparaison effectuée par l’É. entre les versions S et W de la l. 40, où le texte de S ne pose effectivement aucun problème, est un peu trompeuse, et une lecture suivie et comparative permet de noter d’assez nombreuses mélectures. Citons, à titre d’exemple S 81 je le ensui / W 362 je l’ai en fief ; S 101 en paradis n’aura jamais amant / W en paradis n’avra jamais garant ; S 356 Pour tiel n’a homme / W 1040 sos ciel n’a home ; S 359 S’a Gerart me puet de champ chacier / W 1043 s’Agolans me puet de camp chacier. Mais encore une fois cette éd., qui permet de mesurer l’importance de la diffusion de la chanson, est la bienvenue, et il convient d’en remercier l’É. qui nous l’a procurée.
François suard