L’essayiste Bernard Plessy publie « Travaux et jours dans la Grèce antique » (Paradigme/). L’art de l’épigramme, ou la poésie des vivants d’hier pour les amoureux des arts et lettres d’aujourd’hui.

C’est ici-même, dans les colonnes d’Atlantico, que l’académicien et historien de la littérature Marc Fumaroli (1932-2020), s’opposa à ce qu'il nommait le «divertissement industriel ». « La France culturelle, pourtant riche en talents, est poussive, du fait de la conception inflationniste qu’elle s’est faite de la culture. Je ne vois pas pour demain un courage, un éveil, un élan qui changent la donne. » (Marc Fumaroli/Atlantico/ 2011). Forte tête, l’occupant du fauteuil 6, quai de Conti, s’était valu l’opprobre des féministes en s’opposant dès 1998 à  la féminisation des noms de métiers. Dans « La Querelle des Anciens et des Modernes » précédé de son essai : « Les abeilles et les araignées » (Gallimard/Folio2001), Marc Fumaroli prône un retour aux sources –antiques afin de s’opposer aux « acharnés du présent ». Un présent sans passé, sans histoire, sans chronologie : un présent dénué de sens, donc barbare. « La bêtise au front de taureau », dirait Baudelaire. Cette sous- culture règne aujourd’hui, forgée par  l’absence de pensée de ceux qui, au contraire de  Roland Barthes hier- (« La Grèce  c’est une langue et une culture très familières à tout intellectuel français formé avant la Seconde Guerre Mondiale »), ou du politologue Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale (« L'antiquité grecque »/ livre –audio/ Frémeaux & Associés) voudraient voir disparaître le grec des enseignements contemporains. 

« Le grec ancien  me semble moins une langue morte qu’une langue endormie », déclara récemment dans Atlantico Nicolas Waquet, le nouveau traducteur d’Aristote (L’amitié/Aristote/Editions Rivages/août 2020). Pour finir de rassurer les hellénistes, hellénisants et autres  amoureux  de l’Antiquité, paraît ces jours-ci un essai manifestant une passion futée pour cette littérature : « Travaux et jours dans la Grèce antique » (éditions Paradigme) de l’écrivain Bernard Plessy (à gauche le texte en grec ancien, à droite, sa traduction). Quatre-vingts inscriptions  (« epigramma ») extraites de l’« Anthologie grecque »/ 13 tomes dans l’édition Jérôme Budé (« anthologie », en grec, se dit« guirlande »). L’épigramme  est souvent une inscription sur une statue, un monument, un tombeau. Un genre littéraire ultra-court : tout doit être dit en quelques mots. Une sorte de tweet antique. La « parole ailée ». Un condensé de pensée. Il existe toutes sortes d’épigrammes : descriptives, votives, amoureuses, morales, funéraires, satiriques, énigmatiques, etc. Les premières épigrammes connues sont celles du poète  grec Archiloque. « Cœur, mon cœur, confondu de peines sans remèdes, reprends-toi. Résiste à tes ennemis : oppose-leur une poitrine contraire. Ne bronche pas au piège des méchants. Vainqueur, n'exulte pas avec éclat  ». Dans sa leçon inaugurale  au Collège de France (« La littérature pour quoi faire »du 30 Novembre 2006), Antoine Compagnon évoqua d’ailleurs Archiloque ( 740-685 av. J.-C.).

Bernard Plessy quant à lui  a choisi de piocher dans l’Anthologie Grecque/Palatine les épigrammes qu’il préfère : des ex-voto. L’hommage des humbles aux figures de la divinité. Un échange symbolique  circule en cette épigraphie  particulière : le donateur, l’offrande et cette divinité qu’il s’agit d’amadouer, de louer, à laquelle il faut offrir cette action de grâce pour un bienfait précis. 

« La mer, la terre, les guerre, la campagne et les cités » d’un peuple qui rend grâce aux dieux. Tels sont les personnages et le décor de ce recueil d’épigrammes traduites par Bernard Plessy  (agrégé de lettres classiques, ex patron du « Bulletin des Lettres »). La présentation–éclairante- de l’auteur nous permet d’entrer derechef dans les subtilités du texte. Exemple.  «Thalassa ! Thalassa ! Le grec revit quand il retrouve la mer ! Voici ses hommes : pêcheurs de rivage, marins-pêcheurs, capitaines. (…) Ainsi le marinier souvent, pour tout trésor, rapporte des harengs au lieu des lingots d’or ». L’épigramme votive met en forme la supplique du paysan à l’adresse de la divinité qui peut changer son destin : « Je suis le vieil Euphron, mon lopin n’a pas grand nombre de sillons, 

Les grappes de ma vigne ne donnent pas quantité de vin,

Vraiment c’est un maigre sol qu’égratigne ma charrue

Et chiche est la soupe de ma vendange,

Si elle n’était de maigres biens, maigre serait l’offrande ; mais si tu m’accordes

Davantage, déesse, autrement abondantes seront mes prémices ( texte grec p.54, traduction p.55). Grâce à Bernard Plessy, la « guirlande » scintille. On n’a jamais vu d’aussi près et si bien compris l’art de l’épigramme : parmi tant de prières, surgit une leçon –limpide- d’amour et de beauté. Oui les gens du petit peuple sont bien là, l’épigramme est leur blason. Ils portent des armes, quand il le faut, arc ou lance, casque et bouclier. Ils ont des outils de paix, -rustiques, soc et joug aux champs, pressoir et pelle à vanner à la ferme. (…) Anonymes ? Ils ont un nom que le vers met en valeur et c’est celui de leur père. Petits ? Ils ont leur secrète grandeur. Humbles, mais fiers.(…) Si l’on sait entrer dans la confidence des ces épigrammes, dit et non-dit, entendu et sous-entendu, on comprend que ces gens ordinaires ont  fait un peuple extraordinaire », conclut Bernard Plessy

Plaisir de lecture garanti. Barthes, sans doute, aurait aimé, lui qui chérissait les splendeurs du Haiku.Réunies ici, donc, pour notre plaisir et en VO, quatre-vingts inscriptions, ou l’art et la manière de rendre grâce pour  le travail accompli et les bienfaits obtenus. Etre encore et toujours en vie, par exemple, et savoir ses proches vivants, eux aussi. Une poétique  spirituelle comme née d’hier. « Le secret grec ? Le beau est inséparable du bon », chuchote Bernard Plessy.Nous sommes sous le charme. Un secret à méditer cet été. Et après.

« Travaux et jours dans la Grèce antique » par Bernard Plessy( Paradigme/Corsaire) 4 euros et 99 cents.

« Anthologie grecque/Anthologie Palatine »/Livre VI Volume 3 ( épigrammes 1-358) Pierre Waltz