Jaan KAPLINSKI : Difficile de devenir léger (Raske on kergeks saada), édition bilingue, traduction de l’estonien par Antoine Chalvin, Éditions Paradigme, 2016 — 96 pages, 9,80 €.

Ce livre de poèmes publié par les éditions Paradigme, est, après Le Désir de la poussière (Riveneuve, 2002), qui a reçu le Prix Max-Jacob étranger, le deuxième titre disponible en français de. Jaan Kaplinski, poète qui est, probablement actuellement, le plus important d’Estonie. Cet auteur n’est pas inconnu des USE, qui lui ont consacré leur rubrique « Une voix, une œuvre », au sein des USE n"36, en 2013. Rappelons que, né en 1941, Kaplinski a exercé de nombreux métiers avant de devenir député au Parlement d’Estonie (de 1992 à 1995). Jaan Kaplinski parle et écrit notre langue (grâce à sa philologue de mère) et a traduit en estonien de nombreux auteurs étrangers (parmi lesquels Alain-Fournier ou André Gide). Jaan Kaplinski a reçu le Prix européen de littérature 2016 pour « l'ensemble de son œuvre de poète, romancier, essayiste et dramaturge, en hommage a l’intégrité et l’universalité de sa médiation, portée par une écriture en perpétuel renouvellement. » Antoine Chalvin, véritable ambassadeur en France des lettres estoniennes est au cœur du projet (qui n’est pas anthologique, mais concerne la publication intégrale d’un recueil qui a paru initialement en Estonie en 1982). Difficile de devenir léger, nous dit-il : « marque une étape entre les expérimentations multiples des premiers recueils et la construction d’une voix poétique personnelle, stable et simple, en quelque sorte apaisée, qui place la recherche formelle au second plan pour se concentrer sur le contenu… Le minimalisme poétique, par la volonté de raréfaction des mots dont il procède, tend naturellement au silence. » Sur le plan de la thématique, la nature, éternel objet de surprises et d’émerveillements (« Qui cherche la fraîcheur dans ce brasier te trouvera ») est omniprésente, avec l’amour, qui occupe le cœur tour à tour serein et tourmenté du livre, car si Tout peut disparaître… Certainement pas : ce désir — de parvenir en foi — à travers ton corps fragile à travers toi à travers moi avec toi — mon amour. La mystique bouddhiste chère a l'auleur, sans elie trop prégnante innerve aussi nombre de vers et/ou de poèmes : le Bouddha dort au bord de la rivière au même endroit que pendant mon enfance. La nature estonienne ? Il faudrait peut-être parler davantage de nature kaplinskienne ; car, comme l’écrit Marika Pôldma : « Les Estoniens ne sont plus le peuple de la forêt avec ses chamans et ses bardes populaires, aujourd’hui prédomine une poésie de la ville qui, par manque de racines, reste en surface sans être capable de pénétrer plus avant dans une eau et une terre plus riche et plus forte, dans les mouvements plus profonds de l'âme humaine » ; et c’est peut-être ce contraste, cette différence marquante entre Kaplinski et les autres poètes estoniens qui explique la portée, l’originalité et la force de son œuvre a part, au sein de laquelle s’opère une fusion, une osmose entre les règnes humains, végétaux et minéraux (« Tout n’est que terre eau air et feu se changeant les uns en les autres perdurant »), dans une économie de" moyens, de mots, qui interdisent le verbiage, le verbalisme et la platitude : les pierres poussent en moi — invisiblement — incroyablement — entre un matin gris — et la nuit sans étoiles. Ce recueil, Difficile de devenir léger, donne à lire, a découvrir, un grand poète européen, qui est en même temps à lui tout seul, une porte ouverte sur le monde estonien. Notes de Christophe Dauphin.